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Xavier CHAÏLA

Extraits :

 

16 avril 1917. Pour nous, nous marchions avec la 2e division de cavalerie comme régiment à pied. […] l’infanterie devant attaquer à six heures. Le feu de l’artillerie atteint alors sa plus grande intensité. Le ciel était une fournaise. On n’entendait rien au milieu du fracas des pièces. […]

On passa l’Asine sans accident et tout marcha à peu près bien tant qu’on fut dans nos anciennes tranchées. Après, comme entre les deux lignes il n’existait pas de boyaux, on dut franchir la distance à découvert, mais les Boches, nous ayant aperçus, bombardèrent le passage avec des [obus de] 210. […]

Il y eut plusieurs blessés que nous ramassâmes pour les porter en arrière, ce qui n’était pas une mince affaire, devant circuler dans des boyaux obstrués. Néanmoins, nous arrivâmes à un poste de secours de brancardiers divisionnaires qui refusèrent de recevoir nos blessés parce qu’on n’était pas de leur division. […] Sur la berge du canal, il y avait au moins 400 blessés grièvement. Le médecin chef était fou : quoique cette offensive fût prévue depuis longtemps, il n’existait rien pour l’évacuation des blessés. […] C’était les prisonniers boches qui devaient évacuer avec des brancards sur une distance considérable.

Certains de nos blessés durent rester 48 heures sur la berge du canal, sous la pluie, le froid et les obus. Un grand nombre y succombèrent, faute d’avoir été soignés en temps utile.

[De retour dans la tranchée allemande où s’est installé son régiment] Il est impossible, sans avoir vu, de se figurer un pareil bouleversement. On se serait cru dans un paysage lunaire. Pas un pouce de terre qui n’eût été remué. Le sol était blanc de craie rejaillie des profondeurs. Il n’existait plus ni boyaux, ni tranchées, ni fil de fer, pourtant tout était en ciment armé.

[Il observe les traces des combats à proximité :] Un peu partout dans la plaine on voyait des tanks incendiés. J’en comptais 12 sur peu de distance. Il y en avait même dans les lignes boches. Ces tanks avaient fait bon ouvrage, mais ils étaient tombés sur des masses d’artillerie et détruits par les obus incendiaires. Les équipages se plaignaient des avions ennemis qui, volant à faible hauteur, leur lâchaient des bombes incendiaires qui mettaient le feu à l’essence des moteurs.

Malheureusement […] on dut arrêter l’offensive qui s’annonçait si bien. […] Nous perdîmes beaucoup de monde du fait du bombardement et cela pour ne rien faire. 

 

17 avril : Nous passâmes la nuit en première ligne, toujours sous les obus. Au matin, nous nous dissimulâmes dans les trous d’obus […]. Ce qui se passa alors fut épouvantable : imaginez un régiment couché dans des trous d’obus, en plein découvert, et subissant un marmitage* de plusieurs heures. Les gros obus arrivaient par 4 avec une précision mathématique. Quoiqu’on eût formellement défendu de bouger pour ne pas se faire repérer, à chaque instant on voyait des bras et des jambes sauter en l’air. On ne pouvait même pas secourir les blessés.

[… Ils reçoivent l’ordre de se replier dans l’après-midi non sans pertes. Lui-même manque d’être touché par un obus à plusieurs reprises et décrit ce qu’il voit…]

Des morts gisaient partout. On repassa l’Aisne et le canal dont les berges étaient bordées d’artillerie. Toutes les pièces se touchaient et tiraient à toute vitesse. […]

J’endurai alors par la soif une souffrance atroce. Depuis longtemps, je n’avais plus rien dans mon bidon et je ne me sentais pas le courage d’aller plus loin.

[… Il se lance dans une description de son secteur de Berry-au-Bac…] Le village, entièrement détruit, est situé dans une cuvette. […] Les Boches tenaient les hauteurs, à droit coulait l’Aisne, à gauche le canal aux trois quart comblé [et on devait boire l’eau du canal où croupissaient des cadavres] […] Sur ce secteur, l’offensive avait complètement échouée. Les troupes d’assaut avaient avancé de 400 mètres et en avaient reperdu 200.

 

19 avril. Relevés. Allons en réserve au bois de Geais, dans des abris d’artillerie de 75 d’où on dominait  Craonne. […] La canonnade ne ralentissait ni jour, ni nuit. Le soir, les Boches attaquent […]. L’ennemi fait précéder l’attaque par l’explosion de deux mines* [… L’attaque est arrêtée net devant les tirs d’artillerie]

 

21 avril. […] On est éreinté, sale et dégoûtant. Le moral est très bas, on en a assez et on demande la relève à grands cris. On n’a plus à manger que du singe*.

 

24 avril [de retour en première ligne, dans un secteur mieux protégé des tirs allemands] Mais, si d’une part on était à l’abri des obus, d’autre part la situation n’était guère plus rassurante car on entendait miner sous nous. […] Tant qu’on entendait travailler, il n’y avait pas de risques, mais quand on n’entendait plus rien, c’était signe qu’on chargeait les fourneaux. C’est alors qu’il fallait se méfier. Quel cauchemar !

 

25 avril. On installe des crapouillots à 400 mètres des lignes et on apporte une quantité considérable de torpilles. Elles étaient déposées sur le sol et couvraient plusieurs hectares. Cela en vue d’un bombardement, suivi d’une attaque [… qui n’aura finalement pas lieu, une des torpilles tombant sur des soldats français, tuant neuf hommes et en blessant 16…] Ce qui tua les uns fit du bien aux autres car on y serait resté tous. […]

 

26 avril : « nous restons encore la nuit et la journée dans la carrière, dans les trous où avaient été tués nos camarades et qui, sous l’effet de la chaleur, dégageaient une odeur infecte, provenant du sang et des débris humains.

 

28 avril. Relevés à 3 heures du matin, ayant passé 12 jours pleins dans cet enfer. […] A ma section, sur les 42 hommes montés le 16, il restait 12 hommes valides, gradés compris. A la 4e [section], ils étaient 8 hommes.

 

24 mai. Au soir, départ pour la 1ère ligne. Paysage sinistre, retourné par les obus. […] C’est un véritable charnier, dégageant une odeur infecte. La plaine est couverte de morts qu’on ne peut enterrer. […] Toute la journée du 26, bombardement de nos positions avec des obus de gros calibres. Les avions boches viennent tous les jours  sur nos tranchées. […]

A cause du bombardement journalier, le ravitaillement était très difficile. Les corvées partaient à minuit pour aller à la route 44, distante de plusieurs kilomètres, et revenaient avant le jour. On partageait alors les vivres pour toute la journée, qui consistaient surtout en salade de légumes, et chacun regagnait son trou, d’où on ne pouvait bouger de toute la journée étant vu de partout.  

 

Source : C’est à Craonne, sur le plateau…Journal de guerre de Xavier Chaïla (1914-1919), présentation de S. Laspalles, préface et mise en page de R. Cazals, FAOL – Moulin à papiers de Brousse, Carcassonne, 1997, pp. 65-75

Âgé de 28 ans à la mobilisation, Xavier Chaïla est un simple soldat, non professionnel de l’écriture qui, dans ses notes et ses souvenirs, raconte la bataille du Chemin des Dames qu'il a vécu en tant que brancardier. Son frère cadet Louis est tué le 25 juin 1917 à Hurtebise. 

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