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Lucien LABY

Extraits :

 

Mercredi 4 avril 1917

 

« L’attaque est de plus en plus proches : il est temps de numéroter ses abattis. »

 

Mardi 10 avril 1917

 

« Le colonel nous réunit pour nous faire le speech d’usage avant chaque casse-gueule : "Dernière bataille… victoire assurée… préparation d’artillerie telle que les Boches seront tous tués, etc." Je veux bien le croire et irai encore de bon cœur faire tout mon devoir. Mais plus d’excentricités hein ! C’est fini ce petit jeu. »

 

Lundi 16 avril 1917

 

« Dans Courcelles, nous faisons 800 mètres en deux heures. On ne peut se figurer combien c’est exténuant. Nous prenons une piste glissante et pleine d’eau. La préparation fait rage : l’attaque doit se déclencher ce matin. Nous arrivons enfin à 6h30 (14 kilomètres en 7 heures et demie !) dans les bois de Dhuizel, où nous restons toute la journée, trempés comme des soupes. »

 

Jeudi 19 avril 1917

 

« Nous franchissons l’Aisne sur la passerelle n. 32 à 6 heures. Puis nous progressons par bonds jusqu'aux anciennes premières lignes, depuis Soupir jusqu’à Chavonne. Ce dernier village, pris avant-hier, reperdu, puis repris hier soir, est absolument dévasté. Entonnoirs de 380 formidables. Nous voyons quelques tués et quelques poilus du 355e. Des blessés boches sortent encore des caves. […] Nous longeons les lignes des Boches jusque près de Vailly – presque pas abîmé. Nous croisons de malheureux nègres qui ont les pieds gelés, gonflés à éclater, tuméfiés, et qui se trainent sur les genoux en gémissant. »

 

Vendredi 20 avril 1917

 

« Les deux autres bataillons sont engagés, et la 23e [compagnie] de chez nous. Les Boches ont l’air de se replier, mais laissent des mitrailleuses avec quelques types qui fauchent tout ce qui peut avancer trop vite. Le ravin, au fond, est canardé. Trois blessés le matin, que je vais panser sur place (un est fichu : deux éclats dans le poumon).

 

Mardi 24 avril 1917

 

« L’après-midi, je vais en première ligne, devant la ferme des Bovettes, qui est aux Boches – et où nous allons probablement attaquer. Il n’y a pas un abri, rien. On sera en plein bled ! Ah ! la guerre en rase campagne, ce n’est pas drôle ! Les Boches eux sont repliés sur leur fameuse ligne Hindenburg très bien organisée ; ils ont des réseaux de fils barbelés très larges ; chaque fil à l’épaisseur de trois doigts. Ce sera dur. »

 

Vendredi 4 mai 1917

 

« Ça y est, l’ordre arrive : on part ce soir à 20h30 et on attaque demain à 5 heures… C’est tout de même une rude sale impression que celle là. Demain à cette heure il y a aura la moitié des copains le ventre ouvert ou qui sècheront au soleil sur les barbelés. Espérons que je ne serai pas du nombre… »

 

Samedi 5 mai 1917

« La préparation d’artillerie, de crapouillots et de torpilles fait rage pour tâcher de nous faire notre brèche. Enervement. Par intervalles, la mitrailleuse boche tire, ce qui nous fait voir qu’ils ne sont pas tués. Ce ricanement de la mitrailleuse fait froid dans le dos… […] De 10 heures à midi, nous subissons un feu de 105 et 210 d’une intensité inouïe, qui fouille tout le fond du ravin. Quelques blessés arrivent, dont deux blessés boches amenés par quinze des leurs. […] A 10 heures et quart, le feu redouble d’intensité. Je vis un quart d’heure comme je ne me souviens pas en avoir vécu d’aussi terrible, jamais. Vivrais-je cent ans que je me souviendrais de cet épisode avec effroi : je viens de panser trois blessés et explique aux Boches qu’il faut les transporter vers l’arrière. Une marmite arrive juste devant la porte du poste de secours, au milieu de nous. Chutes à droite et à gauche. Je demande à Touyeras s’il est blessé. Non ! mais le blessé qu’il soigne vient d’avoir le poumon perforé. Quatre ou cinq Boches râlent par terre. Fumée épaisse. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, un deuxième obus éclate. Un brancardier tombe à côté de moi, la jambe fracassée. Un autre poilu, à cinq mètres, est coupé en deux. […] Un Boche a les deux jambes en bouillie, ç tel point qu’elles forment un véritable nœud simple. Je me précipite vers Bertinet, qui hurle : sa fémorale gicle à flots. Je hurle pour avoir une cravate, qu’on me passe vite, et je lui fais un garrot. L’hémorragie s’arrête. En voilà un qui a de la veine. Avec Duez, je commence le pansement. Un troisième gros obus, juste à côté, jette tous les bonhommes par terre et nous précipite sur notre blessé qui nous crie que nous allons tous nous faire tuer. Il y a une véritable bouillie de Boches. Un grand Allemand […] se tord à mes pieds, dans une mare de sang : il a un éclat gros comme le poing dans le poumon. Il met six heures à mourir… »

 

Vendredi 18 mai 1917 [Après avoir quitté les tranchées le 16 mai]

 

« On parle déjà de nous envoyer aux tranchées. Quel drôle de repose alors qu’on nous avait promis 45 jours à l’arrière ! »

 

Samedi 19 mai 1917

 

« Nous partons lundi aux Bovettes. Le 49e bataillon de chasseurs manifeste très bruyamment devant le colonel Garçon : ils sont un peu pleins et rouspètent parce qu’on les fait remonter en ligne. »

 

Dimanche 27 mai 1917

 

« Nous attendons qu’on nous relève, avec une grande impatience, car nous sommes fourbus. Il y a encore des Sénégalais sur le terrain. On les panse […] On en évacue le maximum, comme on peut. Quelques uns meurent ici. »

Extraits des Carnets de l’aspirant Laby, Médecin dans les tranchées, Paris, Pluriel, 2001.

Lucien Laby avait 22 ans en 1914. Etudiant de médecine, belliqueux et patriote,  il est affecté au groupe de brancardiers divisionnaires de la 56e DR avec le grade d’aspirant avant d'être réaffecté à sa demande en juillet 1915 comme médecin auxiliaire de bataillon au 294e régiment d’infanterie, fonction décrite par lui comme celle de « brancardier de première classe (métier qui consiste à savoir ramper sous les balles et à coller des pansements sales dans l’obscurité avec des doigts pleins de boue) ». Après Verdun et la Champagne, il témoigne du Chemin des Dames en avril 1917 dans son carnet de guerre.

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